Analyse De L’évolution Des Réseaux Thématiques Du Théâtre Noir Africain A Travers Les Champs Lexicaux Utilisés Dans Les Pièces De 1960 A 2000
Mme Dahou Malika
Professeure des universités en littérature francophone et comparée, université de Mostaganem, habilitée à diriger les recherches, pôle de recherche : arts visuels ; théâtre, cinéma, arts de la représentation, sciences de l’information et de la communication
Abstract: French-speaking black African theater has always presented writing in the present to the extent that the game reveals everyday realities by necessarily expressing itself at the time of the performance. The "sign of time" is in a permanent actualization which ends up going beyond the past and the future. The theme, for its part, tears off the "view of the spectator" of this present time through an original and original language drawing both from daily realities and from history. A break above all with a national identification and a society that has ceased to be a refuge for the evils and fantasies of individuals to open up to a collective society and through a universal language.
Keywords: Theme - language - evolution - openness - rupture – crossbreeding.
BACKGROUND
Le théâtre noir africain francophone a toujours présenté une écriture au présent dans la mesure où le jeu dévoile des réalités quotidiennes en s’exprimant obligatoirement au moment de la représentation. Les auteurs dramatiques noirs africains ont su représenter dans leurs œuvres les préoccupations et les maux qui rongeaient leurs pays en puisant à la fois de leurs cultures et en utilisant une langue qui leur a été imposée par la colonisation ou par l’exil.
Nous tenterons de démontrer et d’analyser comment ces dramaturges ont manipulé la langue du colonisateur, chacun à sa manière, pour présenter des thèmes variés et multiples depuis les années 1960 jusqu’aux années 2000.
En effet, la plupart des pièces écrites entre 1960- 1980 avaient pour thèmes principaux la réhabilitation historique et la satire sociale et politique :
Le lexique employé renvoie à l’histoire ancienne, ou parfois à des coutumes ou à un mode de vie ancien. Relevons quelques exemples :
« Autrefois, Shango était le héros de notre peuple. Autrefois, il nous délivra de la servitude et réduisait en cendres les champs et les villes de nos ennemis. Nous nous réjouissons chaque jour de la sagesse et du courage de notre roi, mais un tyran impitoyable sommeillait au cœur de Shango…Ironie amère du destin, qui nous libéra de la servitude étrangère pour nous soumettre à la tyrannie domestique. » (p27, Shango de Ola Balogun).1
« - Oui ! Votre ancêtre Ndiadiane Ndiaye a fondé ce pays. Il l’a fait à la pointe de sa lance. Le djoloff s’étendait alors jusqu’au pays Dida."( P25 )"Le prince Laobé Penda : - Maintenir le trône tel qu’il nous a été légué par notre ancêtre Ndiadiane. » p 26.
-Le roi Albouri : -Tu es la première personne à qui je le confie. Mon plan a été de préparer tout le pays, en m’alliant au Cayor , au Sine, au Saloum, pour sauver de notre souveraineté ce que nous pouvons.. »( p33, L’exil d’Albouri de Cheikh N’dao).2
Dans Abraha Pokou, Charles Nokan3 évoque un mode de vie africain et des valeurs anciennes vénérées à cette ère :
« Un tam- tam lointain (appelle les guerriers à poursuivre, dès le lever du jour) Abraha Pokou et ses compagnons. » (p36).
« Je ne comprends pas vos coutumes. Le rôle très important que joue la femme dans votre société me surprend. Chez nous, règne le patriarcat. »( p38).
« Le conseil des générations a décidé qu’il n’y aura plus après Abraha Pokou de roi, que les Baoulés éliront un chef. La reine, désirant quitter le trône, la campagne électorale bat son plein. » (p47).
« J’ai de mes yeux vu, je dis bien vu, le hibou noir, (symbole de la sorcellerie, on prétend que les sorciers l’utilisent pour tuer. Les enfants anémiques ou dénutris seraient tout simplement ses victimes) sur mon toit, cependant que mon fils pleurait… »(p39).
« Le sultan :- C’est bien. Ton roi veillera à mieux garder tous ceux qui demeurent au palais. Je donnerai à nouveau à mes sorciers des ordres dans ce sens. Calme- toi, tes enfants vivront. » (p39).
D’autres auteurs se plaisent à cette époque- là à critiquer et à dénoncer la politique et les injustices sociales, Charles Nokan évoque dans sa pièce Les malheurs de Tchâko4 le passé et le présent et dénonce l’ingratitude des gens qui :
« Au temps de notre lutte contre les colons, on m’appelait partout….on m’attribuait mille talents…Aujourd’hui, ce Tchâko génial est mort ; on ne voit plus que le bossu, que la vilaine montagne de mon dos et ma face d’escargot. » (p19).
« -Messieurs les Ministres, Messieurs les Députés, vous croyez que je suis comme vous, que je ne pense qu’à moi. Vous vous trompez ; j’aime sincèrement mon peuple. Aujourd’hui, vous riez, demain, vous pleurerez. » (p62).
Réhabilitation de l’identité culturelle et satire politique : le théâtre devient plus un moyen de communication sociale et de dénonciation politique.
Dans Les lendemains qui chantent de Maxime Ndebeka, 5(pièce ; satire politique), l’auteur soulève le thème des conflits des générations, le lexique est parsemé d’injures contre l’impérialisme :
« - Le maître : Mais la ville rejette les malades qu’elle ne peut pas guérir. Je la vois comme un nœud de sangsues. L’homme ne l’intéresse que lorsque du sang jeune et frais court dans ses veines. » (p36).
« -La femme : C’est pour cela que le monstre de la ville nous accable d’insomnies et d’inquiétude. »
« -Le maître : Laissons la jeunesse changer de carapace au gré du temps ; elle a tout le temps d’en prendre définitivement au passage. Et ce sera elle que nous aurons, nous autres les vieux, laborieusement fourbie et précieusement conservée et protégée des chacals qui accompagnent les volte- face du temps. » (p41)
Nous retrouvons dans Je soussigné cardiaque de Sony Labou Tansi6 une autre forme de lexique très différente des autres pièces. Il s’agit surtout d’une violence verbale directe et parfois puisée d’un vocabulaire familier pour que les messages véhiculés touchent toutes les catégories sociales et tous ceux qui se sentent concernés par l’injustice politique :
« Cavale, vivement. Salaud ! Tu fais de l’esprit ! (le vieux, il dégaine et tire sur lui).
-Pas d’honneur pour ce chien. Enterrez-le vivant… »p33
1 Ola Balogun, Shango, suivi de Le Roi-Eléphant, édition P. J. Oswald, Honfleur, collection Théâtre africain, 1968.
2 Cheikh N’dao, L’exil d’Albouri, suivi de La D2CISION ? 2DITION Le livre africain, Paris, 1970.
3 Charles Nokan, Abraha Pokou ou une grande africaine suivi de La voix grave d’Ophimoi, (poème), édition P. J. Oswald, Honfleur, Théâtre africain, 1970.
4 Charles Nokan, Les malheurs de Tchakô, édition P. J. Oswald, Honfleur, Théâtre africain, 1968, 96 p.
5 Maxime Ndebeka, Les lendemains qui chantent, édition Présence africaine, 1983, 107 p.
6 Sony Labou Tansi, Je soussigné cardiaque, édition Hatier, dans la collection Monde noir, Paris, 1985.